Carte blanche
Il y a de ça… très longtemps, j’avais 20 ans. Un maître de stage m’a dit que je faisais preuve du bon sens placide du paysan ! C’était un super compliment d’autant plus que celui qui me l’adressait était un VRAI MAITRE … (à l’époque directeur avec classe).
Les années ont passé… j’ai d’abord travaillé comme institutrice primaire durant 13 ans et puis j’ai repris la direction de mon école…cela fait 22 ans.
Durant toutes ces années, j’en ai connu des réformes… Normal, notre enseignement évolue… et je ne vais surtout pas commencer à analyser les « pourquoi » et les « comment ».
Ce que je peux dire c’est que je me suis adaptée… j’ai suivi… appliqué avec toute ma motivation et ma détermination. Je peux même me qualifier de très bonne élève.
J’ai toujours pris toutes ces rénovations comme étant au service des élèves et un « mieux » pour le service éducatif.
L’année passée, mon école a rédigé son Plan de Pilotage qui a été envoyé en juin dernier… De nouveau, le bon petit soldat voulait anticiper les événements et être à jour pour entamer l’année scolaire prochaine… qui s’annonçait encore très « colorée » par la pandémie COVID.
Il y a 15 jours… j’ai craqué… trop, c’est trop. J’étais sous pression… je voulais tout faire, j’étais sur tous les fronts et puis la goutte qui a fait déborder le vase…
Notre entité frôlait le recomptage au 01/10/2020… je me suis écroulée, j’ai pleuré pendant des heures. Tout se bousculait dans ma tête ; les mesures COVID, que faire ? Comment communiquer aux parents ? Et si un enseignant est positif, comment le remplacer ? Vais-je devoir fermer les classes ? Comment gérer l’enseignement à distance ? Et la différenciation, comment outiller les enseignants de l’école ? Les essentiels, les déjà-là et les difficultés des élèves… mes enseignants dressent-ils l’état des lieux des apprentissages de leurs élèves et le Plan de Pilotage ? Nous avons programmé des actions en année 1 ; le coin vert, le conseil des élèves, le conseil de classe, la conscience phonologique, notre formation en écouter/parler…
Et toutes ces circulaires qui arrivent encore… d’après un collègue, nous serions à 2000 pages de lecture…
Et je m’inquiète pour certains élèves de P2 et de P3… ils ont « oublié » … Certains ne savent plus lire… Certains, surtout les plus jeunes, ont oublié les codes de l’école… et oui, les 6 mois de confinement ont fait des dégâts.
Et le tronc commun… le nouveau référentiel en maternelle, il faudrait une concertation pour le partager… quand ?
Et l’éveil aux langues… je ne fais qu’envoyer des outils par mail… A quand une réflexion avec mon équipe ?
Et les tests FLA… il ne faut pas que j’oublie de remettre l’équipe au clair ?
Et l’hybridation… oui, il faut que je m’occupe d’activer la plateforme Questi… et puis il faudra encore deux réunions du personnel pour former tout le monde…
Et… va-t-on recompter le capital période au 1er octobre ? Il me manque trois élèves pour maintenir les six classes primaires…
Et les outils de la FWB et de notre réseau… SUPER… très bien… mais cela me demande énormément de temps de lecture, de traitement de données… comment les transmettre à mes enseignants, comment les aider à digérer toutes ces informations ?
Et je vois mes enseignants montrer des signes de fatigue, de faiblesse. Comment les aider ?
Comme on le dit communément ; « je perdais les pédales » !
Je ne parvenais plus à prioriser, j’avais perdu mon « bon sens ».
Et puis, une idée… téléphoner à mon DCO, lui faire part de ma réalité de terrain. Ouf… une écoute bienveillante… Il m’aide à prioriser, à mettre de l’ordre dans tous ces impératifs. Je me remets en selle… je reprends les rennes. Mon esprit s’éclaire à nouveau.
Je vais tout mettre en œuvre avec mon équipe pour aider les élèves en retard, en difficulté ; travailler la différenciation. A noter qu’à l’heure où j’écris cette lettre, mes enseignants ont déjà consacré 14 heures de concertation en école sur le sujet et nous sommes le 25 septembre. Dans ces heures, je ne compte pas celles consacrées à la lecture de toutes ces informations, de tous les outils du réseau et de la FWB.
Je vais prendre soin de mon équipe ; surtout, ne pas les décourager, ne pas les envoyer dans tous les sens, les soutenir, les réconforter, les aider à travailler l’essentiel.
J’outillerai l’école pour travailler à distance avec les élèves via notre plateforme Questi.
Vous me direz… et votre Plan de Pilotage… je vous répondrai… on verra.
Tout ce que j’ai envie de dire maintenant, c’est à quand le bon sens placide du paysan chez nos dirigeants ?
Comment peut-on autant malmener les acteurs du terrain ?
Comment peut-on faire preuve d’autant de « boulimie pédagogique » dans la situation Covid actuelle ?
Comment ne pas reporter d’un an tous les plans de pilotage et s’en tenir uniquement à la différenciation et à l’hybridation qui sont des priorités absolues et qui représentent à elles seules des heures de travail collaboratif ?
Je terminerai en vous disant que j’ai retrouvé mon « bon sens » et je vous souhaite du fond du cœur que vous trouviez le vôtre !
Pour le Collège des Directeurs ;
Annette Randaxhe,
Directrice avec classe et fille de paysan.